Une étude, dont les résultats intitulés «Unconscious semantic processing of polysemous words is not automatic» ont été publiés dans la revue Neuroscience of Consciousness, a permis d'apporter la preuve que le traitement sémantique inconscient d'un mot existe, mais qu'il est soumis à des influences conscientes très fortes.

Soulignons tout d'abord que «la psychologie expérimentale regorge de situations qui permettent de sonder la profondeur et la diversité des opérations mentales qui sont réalisées à notre insu, c’est-à-dire inconsciemment»: ainsi, «en utilisant les techniques de présentation visuelle subliminale», il est possible, par exemple, «d’ injecter un mot dans le cerveau d’un sujet volontaire, puis de sonder son destin psychologique et cérébral à l’aide de mesures comportementales et d’imagerie cérébrale fonctionnelle». De cette façon, plusieurs études ont montré, depuis la fin des années 90, «que le sens d’une image, d’un nombre ou d’un mot subliminal pouvait être représenté inconsciemment dans notre esprit/cerveau».

Pour sa part, l'étude ici présentée s'est focalisée sur des mots polysémiques français, c'est-à-dire associés «à deux significations différentes (ou plus)» tels que: «bande, grue, glace, avocat, cruche, seconde, lettre, accord, temps, bar, coupe …». Cependant, alors qu'à chaque fois qu’un tel mot est présenté on peut le comprendre de plusieurs manières différentes, consciemment il est perçu avec une «seule signification à la fois» (Descartes l'a remarqué dès 1649 dans 'Les passions de l’âme' : « nous n’avons qu’une seule pensée d’une même chose en même temps»).

Cette situation provient du fait que «le sens du mot auquel nous accédons consciemment à un instant donné est susceptible d’être influencé». Par exemple, en lisant SORBET puis GLACE, on accède «très probablement au sens culinaire du mot glace», tandis que le couple MIROIR - GLACE orientera le mot glace vers le sens de vitrage.

A partir de ce principe, l'expérience a consisté à présenter à des volontaires «des triplets de mots, tout en enregistrant leur activité cérébrale à l’aide d’un casque d’électrodes posé sur leur tête». Plus précisément, «chaque essai débutait par la présentation d’un premier mot qui était toujours visible et qui permettait de définir un contexte sémantique particulier (ex : SORBET)», ensuite, «le second mot était flashé à l’écran» en étant «soit subliminal soit consciemment visible» et enfin, le troisième mot apparaissait en étant «toujours consciemment visible». Ce dernier «servait de stimulus cible auquel les sujets devaient répondre en appuyant sur un bouton afin d’indiquer s’il s’agissait d’un vrai mot (ex : VITRE) ou d’une chaîne de lettres prononçable mais ne correspondant pas à un mot du lexique (on parle de pseudo-mot, tel que DRAIE)».

Il est alors apparu que «lorsque le mot du milieu était relié sémantiquement au mot cible, les sujets répondaient plus rapidement», ce qui correspond à un effet d’amorçage qui a été également détecté dans l’analyse des activités cérébrales. Ainsi, «lorsque le mot polysémique (mot du milieu du triplet) était consciemment visible», l'effet d’amorçage «n’était présent que pour la signification cohérente avec le mot contextuel présenté au début de chaque essai (mot 1)» («Par exemple, lorsque l’on présentait le triplet : TRACTEUR – GRUE – CHANTIER, on retrouvait un amorçage du mot CHANTIER par le mot GRUE, alors que cet effet était absent dans les triplets tels que : OISEAU – GRUE – CHANTIER»).

L’analyse de l’activité électrique cérébrale précise cette observation: «l'absence d’amorçage pour la signification non contextualisée du mot polysémique indique que cette dernière n’était tout simplement pas analysée par les sujets». Il en résulte que le traitement sémantique conscient est «bien influencé par le contexte conscient».

Mais le résultat central de cette étude «réside dans la découverte qu’il en va de même pour la perception inconsciente des mots polysémiques». En effet, «lorsque le mot polysémique (mot 2) était présenté de manière subliminale», des effets d’amorçage sémantique ont été retrouvé qui sont «comparables à ceux observés dans la condition de lecture consciente»: autrement dit «seules les significations du mot polysémique subliminal cohérentes avec le mot contextuel étaient inconsciemment analysées».

Cette étude démontre donc «que la cognition inconsciente est non seulement très complexe, puisqu’elle peut atteindre le niveau de la sémantique (le sens des mots), mais également qu’elle se montre extrêmement sensible aux influences conscientes». En d'autres termes, il a été mis en lumière comment «à chaque instant, notre posture consciente influence la nature des opérations mentales qui se déroulent en nous inconsciemment».